Lait végétal et steak végan: des appellations dans la tourmente.
Les produits végétaux ont le vent en poupe: fruits et légumes, céréales complètes, légumineuses font partie des recommandations alimentaires qui occupent de plus en plus notre univers.
Que ce soit pour leurs goûts, pour leurs atouts nutritionnels, par nécessité liée à une intolérance, par mode de vie végétarien, végétalien ou végan, par convictions environnementales ou tout simplement pour revenir à une alimentation plus variée et moins riche en produits d’origine animale, les motivations pour consommer des produits végétaux sont multiples.
On constate cependant que certains produits d’origine végétale utilisent des appellations associées aux produits d’origine animale, comme par exemple « lait d’amande » ou « steak de lentilles ».
Mais peut-on appeler « steak », « saucisse » ou « escalope » un produit exclusivement d’origine végétale? Et peut-on parler de « lait », « fromage » ou « yaourt » quand il n’y a aucun ingrédient d’origine laitière dans le produit?
Faisons le point sur ces dénominations qui divisent les professionnels des filières animale et végétale, les associations militant pour une alimentation plus végétarienne et même les politiques qui tentent de légiférer sur le sujet.
Débats et controverses.
Pour certains, ces dénominations sont des abus de langage qui peuvent entraîner une confusion dans l’esprit du consommateur.
Leurs arguments:
– Le lait provient de « la sécrétion des glandes mammaires » et employer ce mot pour désigner une boisson extraite d’un végétal, comme le soja par exemple, semble inapproprié.
– De même, la viande est « la partie comestible du muscle animal » et les mots « steak » ou « escalope » représentent des morceaux de viande. Ces termes semblent donc inadaptés pour des produits sans viande, à base de céréales ou de légumineuses par exemple.
Ils reprochent aux professionnels de la filière végétale et aux industriels de l’agroalimentaire d’exploiter ces dénominations pour attirer les consommateurs en surfant sur la vague des produits de substitution de la viande ou du lait.
Faux arguments répondent les autres, les consommateurs sachant très bien reconnaître ces produits. D’autant plus que ces mots font souvent référence à des formes ou à des textures et il ne serait pas choquant de les employer pour des produits ressemblants: « lait » pour un liquide de même consistance, « escalope » pour une tranche fine, …
Il est évident que les intérêts économiques des différentes parties prenantes sont en jeu: les professionnels de la viande ou du lait voyant d’un mauvais œil une concurrence directe sur leurs produits, alors que les professionnels des filières végétales voudraient exploiter les parts de marché qui s’offrent à eux.
Sans parler des associations qui participent activement au débat: militant pour une alimentation moins riche en produits d’origine animale, elles prônent les bienfaits des produits végétaux pour la planète et pour notre santé et expliquent que des appellations comme « lait d’avoine » ou « steak de céréales » permettraient au consommateur d’aller vers ces produits, les mots « lait » ou « steak » désignant plus un produit générique associé à une utilisation ou à un moment de consommation.
Une chose est sûre: certains de ces produits profitent de la mode des substituts de la viande et du lait. Produits très marketés et souvent ultra-transformés, on est souvent loin du fruit ou du légume brut! Pour imiter l’aspect et la texture des produits d’origine animale, les industriels emploient des additifs (gélifiants, épaississants, colorants, arômes, …) et des ingrédients issus du cracking comme des protéines, des farines ou des fibres isolées de leur matrice. Lire « les aliments ultra-transformés, à consommer avec beaucoup de modération! ».
Ces substituts industriels n’ont pas les mêmes vertus nutritionnelles que les produits végétaux bruts ou peu transformés, or ce sont souvent eux qui utilisent les appellations empruntées au monde animal et qui séduisent les consommateurs. Ces produits peuvent même afficher le label BIO, un Nutri-Score flatteur, les mentions « végétarien » ou « végan », des allégations comme « source de protéines végétales », … tout ceci pouvant masquer une liste d’ingrédients marqueurs de l’ultra-transformation.
D’ailleurs, il a été démontré que les personnes ayant un régime végétarien ou végétalien consommaient plus de produits ultra-transformés que les autres (Etude NutriNet-Santé). Rappelons que la consommation de produits ultra-transformés est associée à un risque plus élevé de mortalité toutes causes confondues, de surpoids, de diabète et de cancer.
Alors, que dit la réglementation?
Les produits sans ingrédient d’origine laitière ne peuvent pas s’appeler lait, fromage ou yaourt.
Pour le lait, la réglementation est claire.
Depuis 2007, l’Europe a tranché: les termes « lait », « fromage », « crème », « yaourt » sont réservés aux produits laitiers d’origine animale.
Récemment, les eurodéputés ont même confirmé et renforcé la protection des dénominations laitières en adoptant un amendement lors de la rédaction du nouveau texte sur la réforme de la Politique Agricole Commune en octobre 2020.
Il existe cependant des exceptions: chaque Etat Membre de l’Union Européenne peut autoriser certaines appellations sur son territoire du fait d’une utilisation à caractère traditionnel.
En France, les appellations suivantes peuvent être employées:
- Lait d’amande, Lait de coco
- Crème: utilisée dans la dénomination d’un potage (crème de volailles, crème de légumes, crème de tomates, crème d’asperges, crème de bolets, etc.), utilisée dans la dénomination d’une boisson spiritueuse (crème de cassis, crème de framboise, crème de banane, crème de cacao, crème de menthe, etc.), utilisée dans la dénomination d’un produit de charcuterie (crème de foie de volaille, pâté crème, etc.)
- Crème de maïs, Crème de riz, Crème d’avoine
- Crème d’anchois, Crème d’écrevisses
- Crème de pruneaux, Crème de marron (crème d’autres fruits à coque), Crème confiseur
- Beurre de cacao, Beurre de cacahouète
- Fromage de tête
- Haricot beurre, Beurré Hardy
Et c’est tout! Donc pas de lait de soja ou de lait de noisette, pas de yaourt végan et autre fromage végétal. Les produits ne figurant pas dans la liste des exceptions doivent donc trouver d’autres appellations, comme par exemple boisson végétale, dessert ou spécialité, …
Un traitement différent pour le steak.
Appellation steak végétal: la France dit non, l’Europe dit oui!
En France, la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires interdit l’utilisation de termes liés aux produits carnés pour des produits végétaux. On attend un décret d’application qui devrait fixer le pourcentage de protéines végétales au-delà duquel ces dénominations ne sont pas possibles.
Par contre au niveau de l’Europe, aucune interdiction.
Même si lors des discussions sur la réforme de la Politique Agricole Commune en octobre 2020, un amendement allant dans le sens d’une interdiction (comme pour le lait et les produits laitiers) a été proposé, les eurodéputés l’ont rejeté à une large majorité. Des négociations sont encore en cours, mais il y a peu de doute sur l’issue. Les appellations propres aux produits à base de viande pourront être utilisées pour des produits contenant des protéines d’origine végétale: steak végan aux céréales, escalope ou saucisse végétale aux légumineuses resteront donc autorisées en Europe. Contre toute logique, la réglementation européenne a décidé d’un traitement différent pour les produits carnés : c’est NON pour le lait de soja, mais OUI pour le steak de soja!
Est-ce le fait de lobbies plus puissants que d’autres pour défendre telle ou telle filière? Difficile à dire…
La France pourra cependant conserver son interdiction, les Etats Membres disposant d’une marge de manœuvre pour définir les modalités d’application du règlement européen à l’échelle nationale.
Mais dans ce cas, certains professionnels ne pourraient-ils pas invoquer une distorsion de concurrence entre les Etats?
Toujours est-il que quand le décret d’application sera sorti, il faudra trouver d’autres appellations pour ces produits en vente en France. Les mots « spécialité », « préparation », « carré » ou « galette » sont d’ailleurs déjà utilisés.
Plus que l’appellation, c’est le degré de transformation de ces produits qu’il faut surveiller.
Au lieu de discuter sur l’autorisation ou l’interdiction des appellations « fromage » ou « steak » pour certains produits végétaux, un indicateur du degré de transformation du produit serait plus utile. Faire la différence entre un produit végétal brut ou peu transformé et un produit végétal « ultra-transformé » est primordiale. Et là, c’est la liste des ingrédients qui peut nous guider: repérons les ingrédients marqueurs de l’ultra-transformation et limitons notre consommation de produits ultra-transformés qu’ils soient d’origine végétale ou animale.
Les légumineuses contiennent naturellement des protéines, de l’amidon et des fibres, pourquoi les broyer, les extraire, les reconstituer, les colorer et les aromatiser quand on peut se faire un bon plat de lentilles?
malgré l’arrêt des conférences au cente médès-france j’ai eu un réel plaisir à lire vos derniers articles dans lesquelles je trouve plein de choses intéressantes et très bien documentées.
En espérant vous revoir en amphi
Merci pour votre message!
Je suis ravie de voir que vous continuez à me suivre via mes articles en ligne.
J’espère moi aussi que les conférences pourront vite recommencer en amphi…
Merci pour les infos sur cette actualité et en même temps ça nous fait une piqûre de rappel sur l’ultra-transformé. J’ai relu avec plaisir l’article sur ce sujet.
Merci à vous pour votre assiduité! Si les infos sur les aliments ultra-transformés vous intéressent, il existe un score et une application qui permettent de les repérer plus précisément que le score NOVA: il s’agit de « siga ». J’y consacrerai un article prochainement.