Arrêtons avec la mode du brûlé!

Cela ne vous aura sans doute pas échappé: la recherche du «goût de brûlé» a envahi les recettes de cuisine, notamment dans les émissions télévisées.
Je croyais que «quand c’était brûlé, c’était raté»! Il faut croire que non, puisque poireaux, oignons et autres produits finissent carbonisés dans les assiettes des plus grands chefs. Quel plaisir trouve-t-on à manger brûlé?

Qui n’a jamais jeté un plat parce qu’oublié sur le feu et donc immangeable!
Que ce soit au barbecue, au chalumeau ou au four, les chefs y vont à cœur joie: il faut que le produit soit cramé, bien noir, pour faire ressortir le goût de brûlé.

Un petit goût de brûlé? Non merci!

Dans le Sud de la France, on dit: «c’est rabiné».
Du verbe «rabiner»: griller, noircir sous l’effet de la chaleur. Trop cuire un aliment au point qu’il soit comme grillé et accroche au plat.
Doré, rôti, torréfié, oui car cela apporte des couleurs et des arômes agréables mais brûlé, non!
Que ce soit volontaire à la recherche du petit goût de brûlé ou par accident, certains produits se retrouvent souvent avec des parties brûlées dans nos assiettes. On pense par exemple aux pommes de terre sautées un peu noires, aux oignons plus que caramélisés, à la viande bien trop grillée, au pain oublié dans le grille-pain, à la pizza avec le fond et les bords cramés,…

Une chose est sûre: une pizza ne doit pas être brûlée, à la rigueur quelques taches brunes sur le bord ou le fond et c’est tout. Même l’Association pour la Vraie Pizza Napolitaine le mentionne dans son cahier des charges ainsi que le règlement européen définissant la Pizza Napoletana Spécialité Traditionnelle Garantie (voir encadré).
Il est d’ailleurs fortement recommandé d’enlever les parties noires avec la pointe du couteau. Si la pizza est brûlée, c’est qu’il y a eu trop de farine sèche pour travailler la pâte avant enfournement, ou bien que la sole du four a été mal nettoyée (morceaux de pâte, ingrédients tombés,…) ou encore que la chaleur et le temps de cuisson étaient inappropriés. Un four propre et de bonnes pratiques de préparation et de cuisson font une bonne pizza et un bon pizzaiolo!

«La pizza napolitaine présente le bord surélevé (le célèbre « cornicione »), gonflé et sans brûlures.» Associazione Verace Pizza Napoletana.
«Le pizzaiolo doit contrôler la cuisson de la pizza en en soulevant un côté, à l’aide d’une pelle métallique, et en tournant la pizza vers le feu, en utilisant toujours la même zone de sole initiale pour éviter que la différence de température ne brûle la pizza. Il est important que la pizza soit cuite de manière uniforme sur toute sa circonférence.» Règlement Européen 97/2010 du 4 février 2010 enregistrant La Pizza Napoletana STG.

En plus, le goût de brûlé… n’est pas un goût!

C’est « une odeur » ou « un arôme ».
Le sens du goût que l’on utilise à toutes les sauces n’est en réalité capable de reconnaître que 4 voire 5 saveurs: le sucré, le salé, l’acide, l’amer et la saveur umami, une 5ème saveur méconnue et très présente dans la cuisine asiatique à base de bouillon et d’aliments marinés ou fermentés.
Ces saveurs sont ressenties par les papilles gustatives présentes sur la langue. Le sens du goût, c’est ça et c’est tout!

Ce que nous appelons « goût », quand ce n’est pas une de ces 5 saveurs, est en fait ressenti par le nez qui est un sens bien plus riche que celui du goût puisqu’il est capable de ressentir les milliers d’odeurs (par voie nasale directe) et d’arômes (par rétro-olfaction quand l’aliment est en bouche). Voir schéma.
Le fait que l’on ressente ce stimulus quand l’aliment est en bouche nous laisse croire que c’est la langue et donc le goût qui intervient: mais pas du tout! Voilà pourquoi dans le langage courant, on appelle « goût » même ce qui est perçu par le nez. Je garderai donc cette appellation devenue générique.

Le brûlé, c’est mauvais pour la santé!

Et oui, encore des études scientifiques qui nous disent que manger trop de ceci ou de cela augmente les risques de développer telle ou telle maladie. Rappelons juste que tout est une question de quantité et de fréquence.
En ce qui concerne le «brûlé», ce n’est qu’en 2002 que des scientifiques de l’université de Stockholm ont découvert qu’il pouvait être judicieux de gratter les morceaux de nourriture brûlés. En effet, les aliments brûlés contiennent une série de composés pouvant augmenter le risque de développer des pathologies complexes: processus inflammatoires, dommages cellulaires par oxydation, certains types de cancers,…

La transformation des aliments à la chaleur est en fait le fruit de nombreuses réactions chimiques naturelles dont une d’entre elles a été très étudiée: la Réaction de Maillard.
Cette réaction (entre glucides et acides aminés) entraine la formation de composés aromatiques et colorés très appréciées donnant le doré, le grillé ou le torréfié. Elle est donc recherchée pour certains produits: un rôti coloré en surface, du pain juste grillé, des graines ou du café torréfiés.

Plus l’action de la chaleur est poussée (durée, température, flamme directe), plus des composés préoccupants pour la santé vont se former et même réagir entre eux pour en former d’autres jusqu’à arriver à des réactions de pyrolyse où l’aliment sera carbonisé.
Ainsi, même avant le stade brûlé, les composés formés lors de ces réactions complexes telles que la Réaction de Maillard suscitent des interrogations et font l’objet d’études scientifiques quant à leur effet sur notre santé. Parmi eux, l’acrylamide qui apparaît sans que l’aliment soit brûlé mais un peu trop « bruni » (si l’on pousse trop loin la cuisson, le grill ou la friture). Voir zoom sur l’acrylamide.
De ce fait, si même avant que l’aliment ne soit carbonisé, les substances formées sont déjà sujettes à inquiétude, on comprend aisément que lorsque l’aliment est vraiment brûlé, l’ingestion de substances (qui seront à ce stade de la famille des hydrocarbures) puisse avoir des effets néfastes sur notre santé!

Zoom sur l’acrylamide

L’acrylamide se forme naturellement lors des cuissons à forte température (friture, cuisson au four, rôtissage, …) et plus particulièrement dans les aliments riches en amidon (glucides) et en acides aminés (libres ou issus des protéines comme l’asparagine). La fameuse Réaction de Maillard dont nous avons parlé plus haut en est à l’origine.
Les pommes de terre frites ou sautées, les chips, les céréales grillées ou transformées, le pain grillé et les produits de panification ou de pâtisserie comme les biscottes, les biscuits sont particulièrement concernés car riches en amidon, mais également le café torréfié et les succédanés de café obtenus à partir de céréales ou de chicorée.

Pour ces produits, il est évident que la cuisson, le chauffage ou la friture font partie de leur procédé de fabrication et qu’il y aura forcément formation d’acrylamide. Le tout est qu’il y en ait le moins possible.
En 2015, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a exprimé sa préoccupation pour les effets cancérigènes de cette substance qui a d’ailleurs été classée cancérigène probable (groupe 2A) pour l’homme par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer).
L’EFSA n’a pas formulé de valeurs limites à respecter dans les aliments mais donnent des recommandations aux fabricants afin qu’ils veillent à baisser la teneur en acrylamide dans leurs produits en adaptant par exemple leur méthode de cuisson. Ceci « en vue d’atteindre des teneurs en acrylamide qui soient aussi faibles que raisonnablement possible et inférieures aux teneurs de référence » (RÈGLEMENT (UE) 2017/2158).
En 2022, l’EFSA a confirmé sa préoccupation. En effet, les produits cités plus haut sont des aliments de consommation courante, notamment chez les enfants (pour lesquels on estime une exposition en moyenne 2 fois supérieure à celle d’un adulte). D’où des recommandations auprès des fabricants et même pour nos cuissons à la maison, comme les recommandations de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes). Voir encadré.

La DGCCRF a publié une brochure nous mettant en garde contre la formation d’acrylamide lors de nos cuissons à la maison: «griller jusqu’à l’obtention d’une couleur brun clair», «éliminer les parties trop foncées», «ne pas cuire ou griller à outrance».
Photos des recommandations pour la cuisson des frites et du pain. Source DGCCRF

La chaleur sur les aliments: des effets recherchés à maîtriser!

La cuisson apporte beaucoup à un aliment: meilleure digestibilité, transformation d’un produit (comme par exemple, passer de la pâte au pain), création de plats associant différents ingrédients, développement de qualités sensorielles (couleurs, odeurs et arômes agréables), sans oublier l’assainissement du produit en détruisant certains micro-organismes.
Les effets positifs de la chaleur sur les aliments ne sont pas à démontrer.
Le mijoté, le doré, le grillé, le torréfié sont autant de techniques utilisant la chaleur qui subliment un aliment.

Mais doré n’est pas carbonisé!
Même si la consommation ponctuelle, peu fréquente et en petites quantités d’aliments trop grillés, trop foncés, voire brûlés ne constituent pas un grand danger pour la santé, il convient d’être prudent.
En effet, des études notamment sur l’acrylamide et ses effets génotoxiques et cancérigènes montrent que l’exposition alimentaire* à cette substance peut être jugée préoccupante. Sans parler de l’exposition aux dérivés d’hydrocarbures quand l’aliment est carbonisé! Mieux vaut donc s’arrêter au brun clair et enlever les parties noires.
(* l’acrylamide est aussi présent dans la fumée de tabac et est aussi utilisé en industrie dans la synthèse de polymères, ces derniers seront incorporés à différents produits en tant que liant, épaississant ou floculant.)

Le grille-pain, les cuissons au four très chaud (pizza, pain), l’utilisation du chalumeau, de la plancha, du barbecue,… sont autant de techniques utilisées en cuisine qui peuvent facilement conduire au trop grillé, voire au brûlé. Tout est question de réglage et de maîtrise.

Alors pourquoi cette mode du brûlé?

Pour la recherche de nouvelles sensations en dégustation, peut-être.
Pour ma part, je garderai le brûlé juste en décoration dans l’assiette ou en très léger saupoudrage, comme la poudre de peau d’aubergine brûlée, ou encore en tant que contenant, comme dans la recette du fameux poireau brûlé où l’on ne mange que l’intérieur non carbonisé qui a pu s’enrichir en arômes intéressants.

Références:

  • Brochure DGCCRF: Réduire l’acrylamide dans les denrées préparées à la maison.
  • EFSA: L’acrylamide dans les aliments
  • Réaction de Maillard et sécurité des aliments: focus sur l’acrylamide, Mathieu CLADIÈRE et Valérie CAMEL, UMR Ingénierie Procédés Aliments, AgroParisTech, Inra, Université Paris-Saclay, 91300 Massy, France
  • RÈGLEMENT (UE) 2017/2158 du 20 novembre 2017 établissant des mesures d’atténuation et des teneurs de référence pour la réduction de la présence d’acrylamide dans les denrées alimentaires
  • RECOMMANDATION (UE) 2019/1888 du 7 novembre 2019 concernant le suivi de la présence d’acrylamide dans certaines denrées alimentaires
  • Divers articles sur l’acrylamide sur le site « ilfattoalimentare.it », notamment une série d’échanges polémiques entre spécialistes sur les effets cancérogènes des bords brûlés de la pizza.
  • RÈGLEMENT (UE) 97/2010 du 4 février 2010: enregistrant une dénomination dans le registre des spécialités traditionnelles garanties [Pizza Napoletana (STG)]
  • Et bien d’autres encore, …

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4 réponses

  1. Bouvrot Bénédicte dit :

    Merci pour cet article !

  2. Anonyme dit :

    Très très bonne information pour notre santé !
    Un bon barbecue c’est sans flammes pour cuire, dorer… mais pas brûler.

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