Les appellations d’origine: une identité difficile à protéger
Garantissant le lien entre un produit et son terroir, les Appellations d’Origine Protégées (AOP) et les Indications Géographiques Protégées (IGP) sont des signes de qualité officiels communs à tous les pays européens. Ces produits connaissent un vrai succès auprès des consommateurs à la recherche de typicité et d’authenticité.
Tout est dit dans leurs sigles et l’emploi du terme «protégé» semble sans équivoque: les produits AOP et IGP doivent, normalement, bénéficier d’une protection contre toute usurpation ou utilisation abusive de leurs noms.
En réalité, ce n’est pas si simple.
AOP et IGP: des produits ancrés dans leur territoire.
L’Appellation d’Origine Protégée (AOP) désigne un produit dont toutes les étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu et dans une aire géographique délimitée donnant toutes ses caractéristiques au produit. C’est la notion de terroir qui fonde le concept des AOP.
L’AOP est l’équivalent européen de notre signe français AOC (Appellation d’Origine Contrôlée). Par souci d’harmonisation avec nos voisins, désormais tous nos produits AOC ne doivent porter que la mention AOP, seuls les vins sont encore autorisés à utiliser AOC.
La France compte:
– 108 produits alimentaires AOP: Lentilles vertes du Puy, Piment d’Espelette, Bœuf de Charolles, Comté, Huile de noix du Périgord,…
– 361 vins AOP (sans compter les spiritueux).
L’Indication Géographique Protégée (IGP) désigne un produit dont la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques sont liées à son origine géographique. Une étape au moins parmi la production, la transformation ou l’élaboration de ce produit doit avoir lieu dans une aire géographique délimitée. Le lien avec le terroir est moins fort que pour l’AOP: toutes les étapes d’élaboration du produit n’ont pas forcément lieu dans la zone délimitée, et cette zone peut être très étendue géographiquement.
La France compte :
– 150 produits alimentaires IGP: Pruneau d’Agen, Jambon de Bayonne, Clémentine Corse, Vanille de l’île de la Réunion,…
– 75 Vins IGP (sans compter les spiritueux)
La protection des dénominations.
Chaque Etat Membre de l’Union Européenne possède son organisme officiel chargé de gérer et de protéger les AOP et les IGP. En France, c’est l’INAO (Institut NAtional de l’Origine et de la qualité) qui est l’autorité compétente.
Mais attention, la protection juridique des dénominations n’est valable qu’en Europe. A l’échelle internationale, sans accords bilatéraux avec les pays tiers, les recours sont difficiles à faire valoir.
Que dit la réglementation européenne? Plusieurs règlements européens assurent la protection des AOP et des IGP contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée (…); contre toute usurpation, imitation ou évocation (…), contre toute indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit (…), contre toute pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit (…). Règlements: 510/2006 Art 13, 1151/2012 et 1308/2013 Art 103 |
Cependant, tous les noms ne peuvent pas être protégés: certains sont tombés dans le domaine public. Ces noms génériques peuvent être utilisés par des produits ressemblants mais « non AOP/IGP ». Seules les dénominations complètes sont protégées, ce qui rend certaines situations ambigües.
Par exemple, «camembert» est un nom générique mais «Camembert de Normandie» est protégé. «Camembert» est donc libre d’utilisation tandis que certaines mentions comme «Fabriqué en Normandie» ou «Au bon lait de Normandie» font polémiques. Jugées concurrentes de l’appellation «Camembert de Normandie» et pouvant induire le consommateur en erreur, elles auraient dû disparaître des étiquettes de camemberts non AOP depuis le 1er janvier 2021. On en voit encore sur certains emballages.
Malgré le système de protection mis en place, on assiste régulièrement à des usurpations et à des utilisations abusives de dénominations d’origine protégée. Les Etats Membres ont parfois tendance à exploiter les appellations de leurs voisins et le plus surprenant c’est qu’à l’intérieur d’un même pays, il n’est pas rare de voir certaines dénominations imitées, que ce soit dans le nom, la forme, la recette, l’emballage,…
Si on ajoute à cela les usurpations venant de pays hors de l’Union Européenne, les appellations et indications protégées doivent combattre sur tous les fronts.
La défense des dénominations d’origine: entre batailles juridiques et diplomatie.
On assiste régulièrement à des tentatives d’utilisation d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique protégée au sein même de son pays d’origine. Volontaires ou pas, les cas ne sont pas rares comme le montrent ces exemples en France.
Une fromagerie du Livradois dans le Puy de Dôme fabriquait du Morbier. On est un peu loin de l’aire géographique de ce fromage AOP du Massif du Jura connu pour sa raie noire faite de charbon végétal!
Le Syndicat Interprofessionnel de Défense du Morbier a réagi pour protéger son appellation: il a saisi la justice et a pu obtenir le changement du nom du fromage auvergnat. Mais estimant que cette copie continuait à porter atteinte à l’AOP par son apparence visuelle avec la présence de la raie noire, le Syndicat a poursuivi le combat juridique. En décembre 2020, la Cour de justice européenne a donné raison au Syndicat en spécifiant que le droit de l’Union interdisait la reproduction de la forme ou de l’apparence d’un produit protégé par une AOP quand cela pouvait induire le consommateur en erreur, ici la raie noire. Le droit français a donc dû appliquer cette décision et, en avril 2021, la protection de l’aspect visuel de l’AOP Morbier a été rendue effective.
Lors de sa sortie en avril 2019, le Bleu de Brebis, vendu sous la marque Société, présentait un aspect et un emballage ressemblant à celui du Roquefort (fromage AOP).
Après de nombreuses discussions, notamment auprès de l’INAO, les défenseurs de l’AOP Roquefort ont pu obtenir un accord visant à faire modifier l’emballage: nouvel emballage que l’on peut voir depuis l’été 2021 dans les rayons. Mais est-ce suffisant pour éviter la confusion? S’appuyant sur le cas du Morbier, les défenseurs de l’AOP Roquefort continuent la bataille.
Les cas ne manquent pas… et entre pays européens, c’est aussi la chasse aux imitations et aux évocations jouant sur l’ambiguïté.
Récemment, la Cour de justice européenne a rendu son arrêt sur un litige entre la France et l’Espagne. C’est l’affaire du “champanillo”.
Une société espagnole possédant des bars à tapas en Espagne utilisait «CHAMPANILLO » pour les désigner, le tout associé à un support graphique représentant deux coupes qui s’entrechoquent. Le 9 septembre 2021, la justice européenne a donné raison au comité français du vin de Champagne qui contestait l’usage de ce terme. La décision rappelle que la simple évocation d’une dénomination protégée peut dans certains cas être qualifiée d’utilisation commerciale abusive.
C’est Dallas au pays de la Feta!
L’utilisation de la dénomination Feta est longtemps restée libre au sein de l’Union Européenne. Alors que la Grèce se battait depuis 1994 pour une reconnaissance en tant qu’appellation d’origine protégée, l’Allemagne, le Danemark et la France considéraient que le terme «feta» était générique. Ces pays produisaient alors des quantités importantes de Feta. En 2002, après de nombreux rebondissements, la Grèce obtient enfin l’appellation d’origine protégée pour la Feta, attestant que ce fromage est bien le fruit de la tradition grecque. Mais l’Allemagne et le Danemark soutenus par la France tentent de faire annuler cette décision. Nouvelle bataille juridique. En 2005, la Cour européenne de justice confirme que seule la Feta produite en Grèce a le droit à cette dénomination. Les producteurs laitiers des pays utilisant le terme «feta» ont eu jusqu’à octobre 2007 pour éliminer totalement ce mot de leur production. Mais ce n’est pas fini, fin 2019 la Commission Européenne a introduit un recours contre le Danemark devant la Cour de justice de l’Union européenne pour non-respect des obligations concernant la dénomination Feta. En effet, des entreprises établies au Danemark produisent et exportent encore du fromage blanc vers des pays tiers après l’avoir étiqueté « feta ».
Qu’en est-il hors de l’Union Européenne? Et bien, la bataille est encore plus difficile: les dénominations d’origine ne sont pas systématiquement protégées. Pour cela, il faut des accords bilatéraux.
Par exemple, le CETA, traité de libre-échange entre l’Union Européenne et le Canada en vigueur depuis 2017, assure la reconnaissance par le Canada de 174 AOP ou IGP, dont 42 françaises (comme les huitres de Marennes d’Oléron, les canards à foie gras du sud-ouest, et de nombreux fromages comme le Brie de Meaux, le Crottin de Chavignol,…).
On peut penser que cela est peu par rapport aux 1509 produits alimentaires européens AOP et IGP. Mais, c’est mieux que rien: en fait, les appellations et indications reconnues par le Canada sont les plus susceptibles d’être usurpées car très connues à l’international alors que d’autres ne présentent que très peu de risque de contrefaçon. De plus, les vins étaient déjà protégés par un accord spécifique.
De même, l’accord avec la Chine passé en décembre 2020 porte une liste de 100 produits européens pouvant bénéficier d’une protection (dont 25 français: essentiellement des vins et des fromages) contre 100 chinois (thé, riz, gingembre, alcool de riz).
D’autres états n’ont signé aucun accord et, à ce titre, peuvent se donner le droit d’utiliser des appellations d’origine d’autres pays. C’est le cas des Etats-Unis et de la Russie.
Noix de Grenoble de Californie commercialisées au Canada, Munster américain ou Champagne russe, rien n’est épargné!
Il faut savoir qu’Outre-Atlantique, seule une marque déposée par une entreprise ou un acteur privé peut être reconnue ou protégée. Ainsi, avant les accords CETA, le jambon de Parme AOP, était vendu en Amérique du Nord sous le nom de «jambon original» car la dénomination «jambon de Parme» était déposée par une entreprise canadienne!
Le terroir fait vendre: tout ça pour ça!
On l’aura compris, à travers l’utilisation de ces dénominations d’origine, les enjeux économiques sont importants.
Les AOP et IGP européennes représentent plus de 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an, dont plus du tiers rien que pour les dénominations françaises.
Le terroir fait vendre: authentiques et typiques de leur région, les produits AOP ou IGP sont synonymes de qualité liée à un savoir-faire et la tentation peut être grande de profiter de leur image.
Champions des produits du terroir, les pays du sud de l’Europe (Italie, France, Espagne, Grèce et Portugal) totalisent plus de 70% des dénominations protégées de l’Union Européenne. Ces pays font rêver dans le monde entier, on comprend que la simple évocation d’un produit typique puisse susciter des intérêts économiques.
Enfin, les produits AOP/IGP sont les garants de la non-délocalisation: ils permettent de maintenir une activité économique et sociale dans des zones géographiques parfois reculées ou défavorisées. D’où l’importance de lutter contre la concurrence déloyale portée par des copies, des logos ou des emprunts de noms. Dommage que les moyens de protection soient parfois victimes d’ententes politiques entre états et que les recours en justice soient souvent longs à aboutir…
sujet intéressant rédigé de façon concise et qui permet de se faire un idée plus précise de ces appellations
merci
Merci pour votre fidélité et pour l’intérêt toujours présent que vous portez à mes articles!