L’histoire de la tomate confinée: 1ère partie.

Au cours de son histoire, la tomate a connu plusieurs périodes de confinement. Il y a 5 siècles, lors de sa découverte par l’Espagne et de son introduction en Europe, la tomate a dû subir une longue mise en quarantaine avant de pouvoir faire sa place dans notre alimentation et devenir notre légume préféré.

Plus récemment, en ce début d’année 2020, la tomate a été confrontée à un terrible virus. Après confinement des serres contaminées, tout est rentré dans l’ordre. Tiens, ça ne vous rappelle rien? Partons à la découverte de cette curiosité en 3 parties.

1ère partie: Un début bien difficile pour la tomate ou l’histoire du 1er confinement.

La star de nos assiettes a bien failli rester confinée dans nos jardins comme plante d’ornement! Et oui, à ses débuts, la tomate n’avait pas bonne presse. Découverte en Amérique du Sud par les explorateurs du Nouveau Monde, elle fut ramenée en Espagne au début du 16ème siècle puis introduite en Italie et dans le reste de l’Europe.

Tout d’abord considérée comme toxique et mauvaise, il a fallu attendre le 18ème siècle pour lui donner toutes ses lettres de noblesse en cuisine. Un long confinement suivi d’un déconfinement progressif, voici comment la tomate est passée du pot de fleurs à l’assiette!

1- L’origine de la tomate: déjà cultivée et consommée par les Aztèques.

La tomate est originaire des Andes dans une zone qui s’étend du Chili à l’Equateur en passant par le Pérou. Là, poussaient des espèces sauvages qui produisaient de petits fruits jaunes et amers. On ne connait pas la date précise du début de la domestication de la tomate, mais on sait qu’autour du 6ème siècle avant JC, la tomate avait rejoint le Mexique et était cultivée par les Mayas puis par les Aztèques. Ces derniers avaient déjà développé plusieurs espèces de tomates de formes et de couleurs différentes, notamment des tomates rouges, plus grosses et plus douces que les tomates sauvages originelles.

A l’arrivée des conquistadores espagnols, la tomate était largement diffusée et consommée par les Aztèques sous forme de sauce pour accompagner le maïs mais aussi crue. Durant l’occupation de la région du Mexique par Hernan Cortes entre 1519 et 1521, les soldats ainsi que les missionnaires et les savants qui faisaient partie de l’expédition, ont pu témoigner de la présence de la tomate sur les marchés et de son utilisation dans l’alimentation des populations locales. Appelée « tomatl » par les Aztèques, elle est ramenée en Espagne au début du 16ème siècle. C’est là que le parcours du combattant commence pour la tomate, appelée alors «Pomme du Pérou».

2- L’arrivée en Espagne: la tomate vite cataloguée.

Il semblerait que des plants de tomates sauvages et nocives aient été ramenés en Espagne en même temps que les tomates domestiquées et comestibles. On pense que certaines variétés introduites contenaient de la solanine, un alcaloïde amer, indigeste et toxique. C’est pourquoi, dès ses débuts, la tomate fut qualifiée de «plante insalubre» ou «malsaine», et traitée comme plante ornementale ou médicinale.

D’autant plus que les botanistes de l’époque classèrent cette nouvelle plante dans la même famille que la mandragore: il n’en fallait pas plus pour la comparer à cette plante «magique» aux effets psychotropes et l’éloigner des cuisines. Les espagnols ont même attribué à la tomate des propriétés aphrodisiaques: sa belle couleur et sa pulpe juteuse lui valurent le nom de «Pomme d’Amour», nom qui fut aussi employé par les Italiens et les Provençaux. Comme beaucoup de plantes arrivées du Nouveau Monde, la tomate allait devoir faire ses preuves et vaincre la peur des européens envers des denrées jusque-là inconnues.

3- La diffusion de la tomate en Europe: un accueil un peu froid.

En fait, la tomate a surtout été confinée par les savants, les érudits et les aristocrates, laissant sa consommation au peuple ou aux téméraires qui osaient la goûter.

Les espagnols furent les premiers à l’expérimenter en cuisine, forts des témoignages de l’usage de la tomate dans le Nouveau Monde. C’est surtout à Séville que sa culture et sa consommation se développèrent dès le milieu du 16ème siècle. On pense même que la tomate est entrée rapidement dans l’alimentation du peuple du sud de l’Espagne pour arriver progressivement dans la cuisine raffinée des riches nobles. D’ailleurs, le mot «tomatl» en langue aztèque fut traduit «tomate» par les espagnols qui adoptèrent ce nouveau mot dans leur vocabulaire dès 1530.

Partant d’Espagne, dès le milieu du 16ème siècle, la tomate gagne l’Italie par la Sicile et la ville de Naples (alors sous domination espagnole), puis se diffuse dans toute la péninsule italienne et c’est par Nice qu’elle arrivera dans le sud de la France.
Une diffusion géographique rapide mais un succès mitigé qui va contraindre la tomate à rester confinée comme plante d’ornement: en effet, les observations des botanistes de l’époque et les réticences des aristocrates ralentirent considérablement son utilisation dans l’alimentation.

Au contraire des paysans et des gens du peuple qui ont vite intégré ce nouveau fruit dans leur régime alimentaire, y voyant un intérêt aussi bien nutritif que culinaire et surtout une facilité de culture et de production très prometteuse. Mais la culture de la tomate et son usage alimentaire resteront longtemps confidentiels et très localisés autour du bassin méditerranéen.

4- La tomate mise en observation: un confinement assuré.

Les botanistes du 16ème siècle, qui portaient un grand intérêt à toutes ces plantes arrivées du Nouveau Monde, se mirent à étudier et à cultiver la tomate dans leurs jardins. Leurs premières descriptions en faisaient rarement une bonne publicité.

Le botaniste italien Pier Andrea Mattioli (1501-1578) fut un des premiers à faire part de ses observations dès 1544: c’est lui qui nomma la tomate «Pomo d’Oro», «Pomme d’Or», en raison des fruits jaunes observés à l’époque. Le mot «pomodoro» restera dans la langue italienne pour désigner la tomate, rare pays européen à ne pas utiliser un dérivé de l’aztèque «tomatl».

Mattioli associa rapidement la tomate à l’aubergine, tant pour son appartenance à la même famille de plantes «Les Solanacées», que pour la manière de la manger (cuite avec de l’huile, du sel et du poivre). Il connaissait donc déjà des usages de consommation de la tomate. Cependant, il compléta ses écrits en qualifiant la tomate de «pomme insalubre» ou «malsaine» et en précisant que les tomates «donnent envie de vomir et font souvent vomir». Même si Mattioli parlait de la façon de consommer la tomate, le reste de ses commentaires incitaient plutôt à faire le contraire!

5- La mauvaise réputation de la tomate: des preuves scientifiques.

Tout d’abord, la comparaison avec l’aubergine n’était pas du tout valorisante pour la tomate. En effet, l’aubergine (originaire d’Asie et déjà connue à l’époque) a longtemps été considérée «insalubre et dangereuse, causant des fièvres et de l’épilepsie». Elle était consommée par le bas peuple et par les gens de la campagne. Ensuite, la classification dans la famille des Solanacées (même famille que la mandragore mais aussi que la belladone toxique), donnait à la tomate l’image négative de ses cousines connues à l’époque.

Pourtant, cette classification était juste: elle a été confirmée plus tard par d’autres botanistes. C’est d’ailleurs la classification adoptée de nos jours (nom scientifique de la tomate : Solanum lycopersicum) et d’autres plantes comestibles, comme la pomme de terre, l’aubergine ou les piments, font aussi partie de cette famille. Les botanistes du 16ème siècle n’avaient donc pas tort en ajoutant la tomate à la liste des Solanacées. Et comme les plantes de cette famille contiennent des alcaloïdes plus ou moins toxiques comme la solanine ou la tomatine: cela pouvait justifier les réticences de l’époque envers la tomate.

A côté de Mattioli, d’autres botanistes italiens mais aussi français ou anglais du 16ème siècle abondaient d’ailleurs dans ce sens : ils suspectaient la tomate d’être nocive occasionnant «mal aux yeux et à la tête». Tous s’accordaient à dire qu’elle n’était pas bonne à manger mais lui reconnaissaient tout de même des qualités médicinales et ornementales: «cette belle plante pouvait agréablement agrémenter les jardins par la beauté de ses fruits». Les savants de l’époque avaient aussi constaté que la tomate était acide et que son jus pouvait attaquer les plats contenant du plomb, provoquant ainsi un empoisonnement progressif!
L’avis des botanistes-médecins-naturalistes avait massivement marqué les esprits, surtout auprès de l’aristocratie, et on observa le même phénomène dans toute l’Europe.

En France, par exemple, la tomate fut vite adoptée en Provence, tandis que le reste de la France et la haute société la cantonnaient à son rôle de plante d’agrément.
Toujours au 16ème siècle, où l’Italie était à l’honneur sur le plan de l’art et de la culture, Catherine de Médicis la ramena à la cour de France, mais la tomate n’étant pas considérée comme comestible, elle servit de décoration jusqu’à la révolution française. Olivier de Serres, célèbre agronome français (1539-1619), pensait que la tomate était malsaine, mais qu’elle pouvait décorer agréablement les jardins et les tonnelles.

6- L’Italie: un tremplin vers le déconfinement de la tomate.

Heureusement que les paysans méditerranéens avaient préparé le terrain depuis 2 siècles pour voir enfin entrer la tomate dans les jardins potagers et surtout dans les recettes des livres de cuisine réservées aux bonnes tables! Signe qu’une diffusion plus large de la tomate allait pouvoir commencer. Plus qu’un déclic, ce fut le résultat d’une lente évolution avec l’amélioration des variétés, une meilleure connaissance de la plante et de ses fruits et une constatation toute simple: la tomate, c’est beau et c’est bon!

La première recette utilisant la tomate parut dans un livre de cuisine datant de 1692. Elle nous vient d’Antonio Latini, maître cuisinier à Naples. Cette recette est en fait une sauce appelée «alla spagnola» (à l’espagnole), en référence à l’utilisation déjà répandue en Espagne. A partir du 18ème siècle, l’Italie va permettre à la tomate de se faire connaître plus largement en Europe: production de variétés de tomate avec des formes, des couleurs et des goûts différents, recettes et utilisation de la tomate en cuisine sous forme de sauces accompagnant viandes, poissons et pâtes, et même consommation crue.

7- En France et dans le reste de l’Europe: le lent déconfinement de la tomate.

Philip Miller un botaniste écossais sur les traces du botaniste français Joseph Pitton de Tournefort, considérait que la tomate différait des autres Solanacées. En 1768, il décida de la nommer «Lycopersicon esculentum», «esculentum» voulant dire « comestible ». Même si sa classification a été depuis remise en question, c’est une vraie reconnaissance pour la tomate: elle entre enfin dans le domaine des plantes alimentaires!

Pourtant en France, en 1760, le catalogue de graines de la maison Andrieux-Vilmorin classait encore la tomate dans les plantes ornementales. Les premières variétés potagères apparaîtront dans l’édition de 1784.
Ce n’est qu’à la fin du 18ème siècle que la tomate entrera vraiment dans la cuisine française grâce à l’impulsion venue du sud. On raconte que pendant la révolution, les Marseillais entrant à Paris, réclamaient des tomates dans les auberges. Popularisée sous la révolution, elle partira à la conquête de toute la France à partir de 1793. C’est à ce moment-là que les maraîchers parisiens commencèrent à la cultiver.
Malgré tout, dans l’almanach Le Bon Jardinier de 1819, on pouvait toujours lire que la tomate « ne serait pas utile à la cuisine ». Et ce n’est qu’en 1835 que le mot « tomate » entra dans le dictionnaire de l’académie française.

En France et dans les pays plus nordiques, la consommation de la tomate se développera vraiment au début du 19ème siècle, et surtout au début du 20ème siècle pour atteindre la popularité que nous lui connaissons aujourd’hui. Les progrès de l’agriculture ayant permis d’étendre sa culture plus au Nord et sur des périodes de l’année plus longues, elle est consommée partout dans le monde. C’est même notre légume préféré!

L’histoire de la tomate confinée, fin de la 1ère partie.
La suite:

2ème partie : La tomate en bonne place ou le légume préféré des français. Cliquez ici.
3ème partie : Un virus chez la tomate ou l’histoire du 2ème confinement. Cliquez ici.


Références:

  • Sites internet:
    TOMODORI: La grande histoire et les petites histoires de la tomate
    TOMATOLOGUE: Histoire de la tomate
    TRADITOM: The History of the Arrival of the Tomato in Europe
    GOURMETPEDIA: Tout sur la tomate, petite histoire
    TOMATOSPHERE: Taxonomie de la tomate
    MAXISCIENCES: La tomate, une pomme empoisonnée devenue fruit adulé
    IL MUSEO DEL POMODORO: La storia del pomodoro
    VITANTICA: Breve storia del pomodoro
  • Ouvrages:
    Il Pomodoro: Storia e arte, Aspetti storici – Rolando Dondarini, Marta Dondini – Coltura e Cultura
    La Cucina Italiana: Storia di una cultura – Massimo Montanari, Alberto Capatti – Editori Laterza
    Breve storia degli spaghetti al pomodoro: il bianco e il rosso – Pomodoro in salsa spagnola – Massimo Montanari – Editori Laterza

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8 réponses

  1. Corinne Bain dit :

    Super merci pour ces infos
    cette belle pomme d’amour dans nos assiettes avec de la mozzarella…alors fruit ou légume la tomate ? Moi je l’aime en tout cas

  2. Anonyme dit :

    Super beau début d’histoire vivement la suite !

  1. 12 mai 2020

    […] avoir été boudée pendant des siècles (voir la 1ère partie de l’histoire de la tomate confinée), la tomate fait désormais exploser les chiffres. Victime de son succès, elle est même disponible […]

  2. 19 mai 2020

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  4. 15 août 2022

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