Jambon rose ou jambon gris: une question d’additifs!

Les nitrates et les nitrites sont des additifs très controversés. Depuis de nombreuses années, des études ont démontré qu’une consommation d’aliments contenant des nitrates ou des nitrites n’étaient pas sans risque pour la santé. Très utilisés en charcuterie, ces additifs jouent essentiellement le rôle de conservateur et de fixateur de couleur.

Comme pour bon nombre d’additifs, la question de l’innocuité est posée et on peut se demander si l’intérêt technologique ou esthétique vaut la peine de risquer de possibles effets néfastes sur notre santé.

Des additifs à repérer sur les emballages

La majorité des produits de charcuteries et de salaisons consommés en France sont traités avec ces additifs nitrés.
Produits le plus souvent par synthèse chimique, ils apparaissent dans la liste des ingrédients sous leur vrai nom ou sous leur nom de code.

Le nitrate de potassium ou «salpêtre» (E252).
Le salpêtrage régulier de certaines viandes est apparu à la fin du Moyen-Age pour progressivement se généraliser au fil des siècles. Sous sa forme naturelle, le salpêtre (sel de pierre, en latin médiéval) se forme sur les vieux murs humides marqués par un environnement ammoniaqué ou en présence d’eaux riches en nitrates. Il était récolté en grattant les pierres.
De nos jours, il est essentiellement utilisé pour la fabrication des produits de charcuterie crus, comme le jambon sec ou le saucisson sec.

Le nitrite de sodium (E250).
Toujours mélangé à du sel de cuisine, on l’appelle aussi «sel nitrité». Utilisé plus récemment (depuis le début du 20ème siècle), il arrive désormais en 7ème position dans la liste des additifs les plus employés dans les produits alimentaires présents sur le marché français. Il est surtout utilisé dans les produits de charcuterie cuits comme les jambons cuits, les pâtés,…

On trouve aussi le nitrate de sodium (E251) et le nitrite de potassium (E249), moins utilisés en France.

Pourquoi les utilise-t-on?

Les nitrates/nitrites sont utilisés comme conservateurs dans les produits alimentaires, essentiellement dans les produits de charcuterie-salaison. Inhibiteur de bactéries pathogènes comme les Clostridium (des bactéries anaérobies responsables de graves intoxications alimentaires, avec notamment Clostridium botulinum, qui produit une toxine, la botuline, responsable d’une affection neurologique grave: le botulisme).
Ils garantissent aux aliments une meilleure qualité sanitaire et aussi une durée de conservation plus longue.

Par exemple: La DLC (Date Limite de Consommation) peut dépasser une vingtaine de jours pour un jambon avec des nitrates/nitrites contre 8 à 15 jours pour un jambon non traité avec ces additifs.

Autre avantage, ils donnent à la viande une belle couleur allant du rose au rouge foncé selon les produits:
– le jambon cuit est rose alors qu’il serait normalement plutôt gris (comme un rôti de porc cuit).
– la couleur rouge foncé du jambon cru est obtenue plus rapidement (ces additifs accélérant le processus naturel de coloration de la viande lors du séchage).
Enfin, sur certains produits, ils apportent une meilleure tenue, notamment sur les jambons cuits (intéressant pour des produits industriels tranchés à l’avance et conditionnés en barquettes ou sachets).

Ces additifs sont utilisés systématiquement depuis si longtemps que nous nous sommes habitués à leur présence et à la couleur de nos jambons cuits. Si bien que quand les producteurs nous proposent des jambons sans nitrates/nitrites, leur couleur grise nous rebute, laissant penser qu’ils ne sont pas frais! Il faudra pourtant s’y habituer: de nombreux producteurs artisanaux mais aussi industriels se sont mis au «sans nitrite» et la réglementation est en train d’évoluer pour inciter les professionnels à réduire voire à se passer de ces additifs qui alimentent la controverse quant à leur innocuité.

Des additifs néfastes pour notre santé

Depuis 2015, le CIRC (Centre International de Recherche contre le Cancer) de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) classe la charcuterie et les salaisons comme cancérogènes avérés.
Santé Publique France recommande de ne pas consommer plus de 150g de charcuterie par semaine et par personne.
Constat: 63% des Français âgés de 18 à 54 ans dépassent cette limite.

Des études ont montré que les charcuteries traitées avec des sels nitrés avaient un effet cancérogène.
En fait, les nitrates ou les nitrites ne sont pas directement cancérogènes.
C’est une succession de réactions chimiques pouvant avoir lieu dans le produit lui-même au cours de sa fabrication et de sa conservation ou bien dans notre tube digestif au cours de la digestion, qui va aboutir à la formation de composés cancérogènes.

Processus simplifié d’évolution des nitrates/nitrites dans le produit et dans notre organisme:
– Réduction des nitrates en nitrites
– Formation de radicaux libres à partir des nitrites
– Radicaux libres réagissant avec des composés présents dans les protéines de la viande (les amines et le fer)
– Formation de composés cancérogènes, comme les nitrosamines ou le fer nitrosylé.

Plus il y aura de nitrates/nitrites dans le produit, plus ces réactions chimiques pourront avoir lieu et entrainer la formation de composés nocifs.
Il est donc fortement recommandé de réduire notre apport en nitrates/nitrites ajoutés, d’autant plus que nous consommons déjà des nitrates naturellement apportés par les végétaux.

Apports alimentaires en nitrates/nitrites: la Dose Journalière Admissible

En France, nous consommons en moyenne 141mg de nitrates et 2mg de nitrites par personne et par jour.

L’essentiel des nitrates étant apporté par les végétaux de notre alimentation, notamment les légumes à feuilles et les racines (roquette, mache, bette à carde, épinards, céleri, fenouil, radis, betterave rouge, …). Les anti-oxydants comme la vitamine C et les polyphénols contenus dans les légumes limitent la formation des composés cancérogènes à partir des nitrates.
Ces nitrates naturels vont même participer à certaines fonctions physiologiques dans notre organisme et des études ont montré qu’ils pouvaient avoir des effets bénéfiques sur la santé notamment au niveau cardiovasculaire, immunitaire et musculaire.

Cependant, leur apport dans notre alimentation doit rester raisonnable surtout s’ils proviennent des produits carnés qui n’ont pas d’antioxydants et apportent en plus les protéines nécessaires à la formation des composés néfastes.
L’EFSA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments) a établi une Dose Journalière Admissible (DJA: quantité estimée d’une substance qui peut être consommée pendant toute la durée d’une vie sans présenter de risque appréciable pour la santé):
– pour les nitrates: 3,7mg/kg de poids corporel/j (soient 259mg par jour pour un adulte de 70kg)
– pour les nitrites: 0,07mg/kg de poids corporel/j
Cette DJA montre cependant des limites, notamment pour les enfants qui ont un poids corporel plus faible et un régime alimentaire différent.

En réalité, l’excès de consommation de nitrates dû aux fruits et légumes est très rare.
L’EFSA estime que manger 400g de légumes variés par jour, nous apporterait environ 157mg de nitrates, une quantité intéressante pour notre organisme et en dessous de la DJA.
Le bénéfice de la consommation de fruits et légumes l’emporte donc sur les risques éventuels d’une surconsommation de nitrates/nitrites par cette source.
Autre source possible mais moins bénéfique: les nitrates peuvent pénétrer dans notre chaîne alimentaire en tant que contaminant environnemental dans l’eau, en raison de son utilisation dans les pratiques agricoles intensives, dans la production animale et la décharge des eaux usées.

Peut-on se passer des nitrates/nitrites dans les charcuteries?

Certains produits ont déjà franchi le pas comme le jambon de Parme dont le cahier des charges interdit l’utilisation de nitrate ou de nitrite depuis 1993.
Sur nos 45 cahiers de charges de produits de charcuterie et de salaison sous signe officiel de qualité, seulement 11 bannissent l’utilisation de ces additifs comme « le jambon sec, la coppa ou le lonzo de Corse AOP », « les rillettes de Tours IGP » ou « le jambon cuit supérieur Label Rouge ».
Les artisans charcutiers et les producteurs fermiers nous proposent de plus en plus de produits sans nitrate ni nitrite et certains le font même depuis longtemps!
Les industriels s’y mettent aussi, développant une offre sans nitrite.

C’est Herta qui le premier a lancé un jambon cuit sans nitrite à base de polyphénols avec des extraits végétaux antioxydants et avec ajout d’acide ascorbique (vitamine C). Et oui, du jambon à la vitamine C! Ce cocktail permet au jambon Herta de garder une couleur rosée même sans nitrate/nitrite.


Les autres ont suivi: Fleury-Michon, Madrange, Delpeyrat, Aoste,… avec une gamme de charcuterie cuite ou crue sans nitrite. Chacun développant sa propre recette.

Pour se passer des nitrates/nitrites, les fabricants ont dû adapter leurs procédés de fabrication:
– avoir des viandes de meilleure qualité et des protocoles d’hygiène très stricts,
– allonger les temps de cuisson pour les produits cuits,
– adopter un séchage plus lent pour les produits de salaison crue permettant ainsi à la viande de prendre naturellement sa belle couleur rouge foncé,
– trouver des substituts à l’ajout de nitrites, comme les antioxydants ou même des recettes à base de légumes ou de plantes naturellement riches en nitrates.

Une réglementation pour inciter au «sans nitrite»

En Europe, pour la plupart des produits à base de viande, la dose maximale autorisée de nitrates/nitrites ajoutée est de 150 mg/kg. En France, d’après le Code des Usages de la Charcuterie, ce seuil varie entre 60 et 120 mg/kg selon les produits. Il s’agit d’une dose d’incorporation dans la recette et non d’une dose résiduelle dans le produit fini.
Cela peut paraître étonnant mais la réglementation autorise l’utilisation des nitrates/nitrites dans les charcuteries bio: le règlement européen fixe une dose indicative de nitrates/nitrites de 80mg/kg en bio (avec une quantité résiduelle ne devant pas dépasser 50mg/kg de produit fini).
Les cahiers de charges de la plupart des produits français sous signe de qualité (Label Rouge, AOP, …) autorisent aussi l’emploi des nitrates et nitrites.

Alertés par les risques apportés par ces additifs, certains députés se sont lancés dans un projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale le 3 février 2022.
Ce texte a été remanié par rapport à sa première mouture de fin décembre 2021. Le texte initial prévoyait une interdiction progressive des nitrites dans les charcuteries à partir de 2023. L’interdiction s’est transformée en «objectif de baisse».
Dans un délai d’un an après la promulgation de la loi, un décret devra fixer un plan de diminution de la dose maximale d’additifs nitrés et dans un délai de 18 mois, un autre décret fixera les modalités d’étiquetage spécial pour les produits contenant des nitrites.

Malheureusement, l’indication de la présence d’additifs n’est pas obligatoire sur les produits à la coupe alors que ce type d’achat est très fréquent en viande et en charcuterie. Ce serait peut-être l’occasion d’harmoniser l’information donnée aux consommateurs. Le texte est maintenant entre les mains du Sénat pour une première lecture,… à suivre.

Moins de nitrates/nitrites mais plus de marketing

Certes le jambon est gris ou rose pâle et se conserve moins longtemps mais il ne contient pas de nitrites! Les consommateurs devront s’adapter: couleur différente, DLC plus courte et possible augmentation des prix pour compenser les contraintes de fabrication sans nitrite. Mais c’est pour la bonne cause, même si le «sans nitrite» est devenu un argument marketing, comme beaucoup d’autres mentions sur les emballages.

Sources et références

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